Stress, pollution, insécurité… Autant de mots qui résument le cadre de vie des pigeons en France, dont 98% de la population réside en milieu urbain. Perçue depuis toujours comme la condition indispensable pour réussir sa vie de pigeon, la ville ne fait plus rêver. Alors ils sont de plus en plus nombreux, chaque année, à tout lâcher pour aller poser leur valise en campagne. Nous avons rencontré l’un d’entre eux.
Mettre fin au « Métro, boulot, dodo »
La campagne a changé la vie de Serge. Ses 2h quotidiennes de Yoga Asthanga lui permettent de se sentir bien à l’intérieur et ça se voit à l’extérieur.
Serge, 10 ans, est un pigeon affable et roucoulant. Il fait partie de ces « campagneons », les pigeons partis chercher l’Eldorado hors de la ville. Une décision difficile pour ce mordu de Bordeaux, dont toute la famille a grandi depuis des générations dans une alcôve de la Tour Pey Berland, située sur une place centrale de la ville. « On avait une vue imprenable, et puis la possibilité de déféquer sur un nombre incroyable de passants, c’est vrai que c’était royal », concède-t-il en gloussant de joie.
Mais il se ravise vite : deux heures de trajet, « et encore, à vol d’oiseau ! », pour se rendre à son travail du centre de traitement des déchets nucléaires de Blaye. Les embouteillages, la morosité, l’absence de chaleur aviaire… « Je ne voyais jamais mes petits pigeonneaux chéris. Mon couple battait de l’aile, il était loin le temps où l’on se passait la bague au doigt dans la cathédrale Saint-André».
Etre bien dans ses baskets
Désormais installés dans un splendide chêne à 30 km de Bordeaux, Serge et sa famille revivent. « Ce n’est pas facile tous les jours, les gens ici sont un peu rudes, mais on s’est fait une petite place je crois. » dit-il en saluant cordialement « Jean-Mi », un écureuil qui passe déposer quelques noisettes issues de sa récolte annuelle. « Ici, on peut voler tranquille, on mange des bonnes graines et personne ne joue à nous donner des coups de pied pour de faux. ». Et Serge de nous montrer, fier, ses premiers plants de tomate et ses salades : « l’hiver prochain, on mange nos propres produits » sourit-il en faisant fièrement claquer son bec.
Soudain, ses yeux se parent d’un voile lumineux, presque rieur. « D’ici quelques années, on pense peut-être même prendre la route avec les enfants, devenir des pigeons voyageurs » glisse-t-il. Au loin, le chant des cigales résonne, puis le bruit d’un fusil, l’aboiement d’un chien, le rire d’un chasseur. « Je l’ai eu ! », dit-il en ramassant ce qu’il reste de Serge.