Aujourd’hui, vous allez voir un chat sur internet, comme 43 millions de Français et 4,2 milliards de personnes dans le monde. Vous allez sans doute sourire. Peut-être rire, voire partager une vidéo, une photo de chat. Et participer au plus grand scandale du XXIe siècle. Le Bilboquet Magazine fait tomber les masques et vous emmène en virée dans un univers crasseux, sale et violent : un reportage d’investigation à ne pas laisser entre toutes les mains.
Banlieue de Tirana, capitale de l’Albanie. Il est 3h du matin et j’ai mal au dos, assis sur une chaise pourrie dans la pièce miteuse d’un appartement décrépi. Je parle à Youri, mon contact. Il porte une cagoule. Il me raconte l’enfer du lölkatting.
« Real pussy makes more money » (comprendre « Les vraies chattes rapportent plus ») .C’est le nouveau slogan à la mode dans la mafia des pays de l’Est. Au milieu des années 2000, l’explosion du « cat web », avec ses vidéos Youtube, GIF et autres photos de chats « trop mignons », frappe la terre entière. Ce phénomène global, qui touche autant les mères de famille ménopausées que les jeunes hipsters branchés, ne passe pas inaperçu aux yeux du crime organisé. Quand « my cat falls asleep on my dog sleeping on my turtle » dépasse 1 milliard de vues sur Youtube, avec des retombées publicitaires estimées à 2 milliards de dollars pour son auteur FunnyJohn23, Guran Ivanusevic dit « Vulvic» décide de passer à l’action et lance le « plan Lölkatt ».
Tärtin, le lölkatt affranchi, était devenu trop riche, trop vite. Petite trouvaille Bilbo Mag : GIF à regarder en écoutant « In the Summertime » de Mungo Jerry.
Sous l’impulsion du plus grand parrain d’Albanie, ce seront plus de 6 000 chatons qui seront arrachés à leurs parents dans les campagnes albanaises entre 2006 et 2011. Ces chatons, dont l’âge ne dépasse pas 2 ans, sont entassés dans de sordides studios où ils enchaînent contre leur gré toutes sortes de vidéos et de séances photos « drôles » ou « mignonnes ». On leur offre de l’herbe à chat à profusion, quelques croquettes parfois, jamais d’argent. Vidés de tout velléité rebelle, ils entretiennent le vieux rêve de
l’esclave affranchi, devenir un « Keyboard Cat » comme on dit dans le milieu. Et pourtant : Tartïn de son vrai nom, le fameux chat pianiste, est mort l’été dernier à Brčko, Bosnie-Herzégovine. Fusillé alors qu’il sortait d’une boîte de nuit. Triste fin pour le gamin de Sarajevo ? Glorieuse plutôt : la plupart des lölkatt finissent jetés dans les eaux froides du Tiranë dès lors qu’ils deviennent trop vieux, trop cassés, incapables d’attendrir ou de faire rire l’internaute. La Former Yugoslavia Feline Rights Association (FYFRA) estime que plus de 80% des chats d’internet sont désormais des lölkatt.
La FYFRA justement. Après mon entretien avec Youri, déprimé, je me suis rendu dans leurs locaux, moisis eux aussi. Ils m’ont apporté un peu de réconfort, une lueur d’espoir. Leur grand succès a été enregistré il y a 6 mois : ils ont convaincu Sniper Cat de témoigner contre « Vulvic » et son système. Sniper Cat, Minoushka de son vrai nom, avait été un des premiers lölkatt emblématiques. Il est désormais sous protection policière, en attendant les résultats du jugement.
La FYFRA a insisté pour que nous appuyions leur campagne en faveur de Minushka, qui fait actuellement un carton dans les réseaux sociaux albanais (réunions de famille, repas de midi, sous le manteau à la récréation).
Les espoirs sont minces, cependant : « Tant que des internautes inconscients continuerons de regarder ces vidéos infâmes, des chats souffriront. Nous appelons à un boycott mondial des vidéos de chats, un autre monde est possible ! » nous martèle Dimitar, le jeune responsable de la FYFRA. Il a participé, avec le soutien de l’Union Européenne, a la réalisation de la série de vidéos « funny cats without cats ». On y voit des acteurs professionnels déguisés en chats imiter les scènes qui amusent tant : rater leur saut, tomber dans la piscine, se coincer dans une boîte en carton ou se hérisser inutilement de peur…L’illusion n’est pas parfaite toutefois, force est de le constater.
Dans l’avion qui me ramène à San Francisco, je surprends mon voisin en train de regarder une vidéo sur son Ipad. C’est un lölkatt. Je reconnais Karamel, empoisonné en Hongrie le mois dernier dans l’indifférence générale. Sur la vidéo, il en train de sauter d’une table basse et de se rater pathétiquement. Je ris, c’est un réflexe, c’est drôle.
Il reste encore du chemin à parcourir.
Cet article est dédié à Czockola, “le Mozart de l’accordéon de Čačak”, écrasé volontairement dans une ruelle de Tirana peu après mon départ.