Un historien amateur retrouve la moustache d’Hitler


1945. Les balles fusent à Berlin. Depuis son bunker, Hitler entend le vrombissement sourd des rafales tirées par l’Armée Rouge. Sans un mot, livide, il acquiesce de la tête. Le barbier rase alors soigneusement la moustache du Führer, en récupère chaque poil, et les colle sur un modèle en ivoire, qu’il enferme dans un coffret. Le coffret est remis à un jeune SS qui a pour mission de l’exfiltrer vers un lieu secret. Quelques heures plus tard, le dictateur se tire une balle dans la tête : ainsi commence le mystère de la dernière moustache d’Hitler. Du moins c’est le récit que Grégoire Bernache, historien amateur de Limoges, répète depuis 40 ans à qui veut l’entendre, y compris le Bilboquet Magazine. Mr Bernache nous a ainsi reçu hier dans sa maison de banlieue.
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Grégoire Bernache nous montre fièrement son bureau et sa nouvelle moustache.

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Le barbier, c’était son grand-père, Eloi Bernache. « Mon grand-père était le meilleur barbier de la région. Quand il est parti faire son STO [ndlr : Service de Travail Obligatoire], il a demandé à être barbier d’Hitler. C’était un défi professionnel avant tout, l’accomplissement d’une carrière » nous explique Mr Bernache. « Il a été arrêté par les rouges, puis finalement libéré. Quand il est rentré au village, il a raconté l’histoire à mon père, et a hélas trouvé la mort peu après dans un accident de chasse. Papa me racontait souvent l’histoire quand j’étais môme, pour m’aider à trouver le sommeil. Depuis l’enfance j’ai juré de retrouver ce coffret. Ce n’est quand même pas la moustache de George Brassens ! » s’exclame-t-il.

Il vend sa Volvo pour retrouver la moustache

Alors à 18 ans, son baccalauréat en poche, Grégoire commence sa longue quête de moustache. Tout en étudiant à la fac d’histoire de Limoges, il épluche les sources historiques à la recherche du nom de Christian Jäns-Peter, le SS à qui le coffret aurait été remis. En vain. Il devient ensuite professeur d’histoire au collège, mais « c’était alimentaire, ma passion a toujours été Hitler, enfin sa moustache je veux dire, j’en parlais d’ailleurs pas mal à mes élèves ». En 1988, coup de tonnerre : Grégoire se rend en Allemagne pour interroger Armin D. Lehmann, un ancien du bunker, qui lui apprend que Christian Jäns-Peter lui avait confié vouloir fuir en Argentine. Vérification faite, Grégoire Bernache retrouve la trace du SS dans l’annuaire de Buenos Aires. « C’était un peu foufou mais j’ai vendu la Volvo et je me suis payé un billet pour l’Argentine. Il le fallait ! » nous balance Grégoire encore tremblant d’excitation.

Mais sur place, la désillusion. Vive, brûlante, implacable : l’ancien SS accepte de recevoir Grégoire « par amitié pour son papa », mais nie avoir jamais eu le coffret, ni en avoir entendu parler. L’historien de nous raconter la scène d’un sourire attendri : « Il m’a dit désolé Grégoire, je comprends ton excitation, mais je ne crois pas que cette histoire soit vraie. Ton grand-père était un homme avec beaucoup d’imagination, il faisait souvent rire le bunker avec des contes de fées pervers qu’il inventait en permanence. J’étais à la fois fier et ravagé ! ».

Un détecteur de moustaches pour les plages de Normandie

Mais rentré en France, Grégoire Bernache se ressaisit. « Papa est passé me voir à la maison. Il m’a dit que grand-père avait des yeux de gosses en parlant de la moustache, que je ne devais pas laisser tomber, qu’elle existait. J’ai su ce jour là que je finirais par la trouver ». Au grand dam du reste de sa famille, Grégoire redouble d’ardeur dans ses recherches et engloutit des fortunes pour ses voyages aux quatre coins du monde : Paraguay, Japon, Etats-Unis… En 1995, il hypothèque la maison pour acheter un détecteur de moustaches, et part ratisser les plages de Normandie tous les weekends. Sa femme le quitte. « Ça a été un choc. Je ne l’ai pas vu venir, je n’ai pas compris » nous confie-t-il, encore bouleversé. « Elle m’a dit que j’étais fou, que tout le monde se moquait de cette moustache, et que de toute façon j’étais un raciste et un admirateur d’Hitler refoulé. C’était un enfer d’entendre toutes ces saloperies. Je crois qu’elle ne pensait pas ce qu’elle disait, elle savait au fond d’elle que je faisais ça comme un petit hobby pour honorer la mémoire de pépé. »

Tintin donne la solution

A la marginalisation de Grégoire Bernache dans sa famille s’ajoute le mépris et le ridicule dont le couvrent ses collègues du collège, mais aussi le cercle des historiens académiques qui ont vent de sa quête. « Être un Bernache » devient synonyme « d’historien des causes perdues ». Une cause perdue, donc. Jusqu’à ce matin de mai 2012. Grégoire Bernache n’est plus que l’ombre de lui-même, il a 60 ans, il est seul, et va bientôt partir à la retraite. Pour se changer les idées, il va chercher dans sa bibliothèque son Tintin préféré, le « Trésor de Rackham le Rouge », celui-la même que son grand-père aimait tant lire peu avant sa mort. Et là c’est l’illumination. « J’avais cherché partout. Comme Tintin je suis allé au bout du monde pour mon trésor, j’ai sondé les eaux en vain. Mais je n’ai pas cherché dans l’endroit le plus évident, mon château de Moulinsart à moi ».

Grégoire monte dans sa Peugeot 107 achetée avec une carte Sofinco qui l’endette à 18%, et fonce jusqu’au village de son grand-père Eloi. Sa vieille maison, propriété familiale délabrée et abandonnée, tient malgré tout toujours debout. Grégoire monte au grenier dans lequel il jouait quand il était petit. Il retrouve dans un coin le vieux globe en pierre surmonté d’un grand aigle du IIIe Reich, sur lequel son grand-père lui montrait l’étendue des territoires de l’Axe. Il appuie sur l’Allemagne. Le pôle Nord saute, poussé par un puissant ressort, révélant l’intérieur du Globe : la moustache d’Hitler dans son petit coffret ! « Vous imaginez, j’étais euphorique ! Elle existait vraiment cette moustache ! Je crois que mon grand-père voulait raconter à tout le monde cette magnifique histoire sans avoir à donner la moustache à personne. C’était à nous de la trouver. Quand je l’ai caressée pour la première fois, c’était très émouvant, je me sentais proche de lui. Pépé je veux dire ».

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Le coffret de la moustache, sur la table du salon limougeaud de Grégoire Bernache.

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Un rêve qui s’accomplit

Tant d’années de souffrance ne se rattrapent pas si facilement. La femme de Grégoire n’a pas voulu revenir avec lui, ses collègues le méprisent toujours, et le terme de «Bernache » est toujours utilisé par les vrais historiens : « maintenant ils s’en servent pour désigner un historien raciste visiblement, ces jaloux !». Mais cela ne lui fait plus rien : il a réussi son rêve. Et maintenant, que va faire Grégoire Bernache de la dernière moustache d’Hitler ? « Certainement pas la donner à un musée ! Non en vérité…cela peut sembler un peu potache mais je m’amuse à la mettre des fois pour sortir à la boulangerie. C’est idiot mais ça me fait rire, et puis c’est un peu élégant. » glousse-t-il. Alors si vous passez par Limoges, et que vous voyez un monsieur jovial commander des pains aux raisins avec une moustache d’Hitler, ne vous étonnez pas. Grégoire Bernache n’aime pas les croissants.